lundi 17 novembre 2014

Papa Abdoulaye Seck, ministre de l’agriculture sur l’autosuffisance en riz : « Nous ne sommes pas à l’heure de la polémique, mais à celle de l’action »



Quelle est l’importance de la politique d’autosuffisance alimentaire dans laquelle le gouvernement s’est engagé et qui a été confirmée par la tournée économique du chef de l’Etat, Macky Sall, dans la vallée du fleuve ?
L’autosuffisance alimentaire, ce n’est pas un choix fortuit, c’est une contrainte imposée par la turbulence du marché rizicole international. Il faut répéter, avec insistance, le fait que l’Asie, principal fournisseur du monde, perd de plus en plus sa vocation rizicole. Selon certains scientifiques dont les travaux ne souffrent d’aucune contestation, l’Asie va être, dans un très proche avenir, un continent importateur net de riz. Or, on sait que l’Asie approvisionne le marché international à hauteur de 77 %. Si elle devient donc importatrice de riz, la question fondamentale sera celle de savoir qui va nourrir le monde? Pour beaucoup de scientifiques, c’est l’Afrique qui est l’avenir du monde pour la riziculture. La perte de la vocation rizicole de l’Asie s’explique par plusieurs éléments importants. D’abord, il y a des restructurations industrielles dans ce contient. A cause de la poussée démographique, de plus en plus de terres, jadis dévolues à la riziculture, sont utilisées à d’autres fin. Et puis, il y a de moins en moins d’eau destinée à la riziculture.

Aussi, en Asie, on constate, effectivement, que les rendements ont tendance à stagner ou à baisser, alors que dans un continent comme l’Afrique, le rendement réel représente en moyenne 30 % du rendement potentiel. Nous avons donc des gains de productivité extraordinaires. Les pays du monde entier, particulièrement ceux d’Afrique, s’empressent de vouloir assurer leur autosuffisance compte tenu des menaces sérieuses qui pèsent sur leur approvisionnement en riz. C’est pourquoi la Côte d’Ivoire veut être autosuffisante en 2016, la Gambie en 2015, le Rwanda en 2015, le Nigéria et Madagascar en 2018. Le coefficient multiplicateur de la production pour atteindre l’autosuffisance varie entre 3.52 et 7.72. Dans le cas précis du Sénégal, c’est un coefficient multiplicateur de l’ordre de 4. Je ne vois donc pas où se trouve l’utopie. Au contraire, nous sommes dans une dynamique tout à fait en phase avec ce qui se fait à l’international.

Est-ce à dire que ceux qui doutent des capacités de notre pays à atteindre l’autosuffisance ne sont pas en phase avec la réalité ?

Ils sont totalement en déphasage avec ce que le marché international nous dit et avec les capacités productrices de nos écosystèmes. Nous avons lu et entendu des opinions, alors qu’il y a une différence fondamentale entre une opinion et une connaissance scientifique fondamentale validée. Ce que nous disons en traduisant la politique rizicole définie par le président de la République, Macky Sall, ne relève pas d’opinion mais de connaissances scientifiques provenant de l’Isra, des deux centres de recherches internationaux en riziculture que compte le monde, notamment AfricaRice et I.riz, d’éminentes personnalités scientifiques qui évoluent dans des sphères où l’on ne discute pas d’opinions, mais plutôt de connaissances. C’est cela la différence fondamentale qu’il y a entre ce que les gens disent et ce que nous nous disons. Ce qu’on doit surtout retenir, c’est que nous avons véritablement changé la politique rizicole. Mais, dans tout cela, je n’ai pas entendu un seul producteur de riz, une seule association de producteurs de riz, ou un seul rizier du Sénégal mettre en doute l’objectif d’autosuffisance. C’est important à préciser. Lorsque nous avons été à Aéré Lao, lors de la tournée économique avec le président de la République, un producteur de riz s’est même demandé si l’on pouvait accélérer davantage pour obtenir l’autosuffisance avant 2017. L’élite intellectuelle doit comprendre et cesser de parler au nom des acteurs ruraux. Nous sommes à l’ère des concertations. Lorsque le président de la République a voulu que notre pays atteigne l’autosuffisance en 2017, nous avons fait de larges concertations sanctionnées par un Conseil interministériel tenu le 12 février 2013.

Au cours de ce Conseil interministériel ayant réuni les techniciens et toutes les organisations professionnelles, aucune voix discordante n’a été notée. Alors, on peut se demander pourquoi, subitement, on veut remettre en cause un consensus Etat-acteurs sur une problématique directement liée à notre dignité, c'est-à-dire nous nourrir. C’est ça la question fondamentale. Il ne faut pas qu’on en fasse un débat de ceux qui ne cultivent pas. La force motrice pour obtenir l’autosuffisance rizicole dans notre pays, ce n’est pas un débat intellectuel, c’est le terrain qui doit guider les discussions.

Sur quelle stratégie va s’adosser cette ambition ?

Pour le gouvernement, la reconquête du marché domestique du riz appelle nécessairement un changement de paradigmes assorti d’une révision de notre stratégie opérationnelle. Nous fondons ce changement de paradigmes sur les progrès techniques et les capacités productives de nos écosystèmes. Après avoir réfléchi, nous avions proposé aux différents acteurs de la filière, sept ruptures à observer par rapport aux pratiques du passé. Il y a d’abord la redéfinition de la contribution des zones de production rizicole. Au lieu de miser sur 80 % de la production en irrigué et 20 % en pluvial, la nouvelle démarche opte pour 60 % en irrigué et 40 % en pluvial. En réalité, nous voulons développer la riziculture de plateau, de bas-fonds et de mangrove dans le sud (Kolda, Ziguinchor et Sédhiou), le sud-est (Tamba et Kédougou) et le centre (Fatick, Kaolack, et Kaffrine) en utilisant les variétés Nerica 1, 4, 5, et 6, pour le riz de plateau et Nerica L et Nerica S 44 pour le riz de bas-fonds qui donnent des rendements de quatre à six tonnes à l’hectare contre 1,5 tonne à l’hectare pour les variétés traditionnelles. La deuxième rupture, c’est la redéfinition de la mission des zones de production pour l‘approvisionnement du Sénégal en riz. La vallée du fleuve Sénégal va s’occuper de l’approvisionnement des centres urbains (Dakar, Thiès, Touba, etc.) et dégager, éventuellement, un surplus à exporter ou à transformer dans des zones déficitaires.

Nous voulons également reconstituer autrement le capital semencier et, surtout, assurer une maîtrise de l’eau avec l’accélération du rythme de réalisation des aménagements hydro-agricoles et le développement de la petite irrigation. La cinquième rupture concerne l’intensification de la double culture qui n’est que d’environ 10 %. Cela est possible grâce aux variétés à cycle court existantes, à la promotion de la mécanisation pour maîtriser le calendrier de la préparation des sols, de la récolte et du battage et l’amélioration du mécanisme de commercialisation du riz qui sont les contraintes majeures. Il s’agira aussi d’augmenter le coefficient de transformation du riz paddy et d’améliorer la qualité grâce à des opérations post-récolte mieux maîtrisées. Nous allons aussi miser sur une mécanisation associant le savoir-faire de nos artisans par la production de batteuses telles que « Asi » et l’importation de matériel motorisé assemblé par les Sénégalais.

Quel est le coût de cet objectif ?

Nous avons le Programme de relance et d’accélération de la cadence agricole au Sénégal (Pracas) dont le montant est de 425 milliards de FCfa. Mais, cette somme ne sera pas intégralement prise en charge par l’Etat. Il y a d’autres partenaires notamment les exploitations familiales, le secteur privé, les partenaires techniques et financiers et le partenariat public-privé. L’accompagnement de l’Etat sera de 107 milliards de FCfa ; nous avons déjà commencé à débourser. Dans la loi de finances rectificative, 32 milliards de FCfa seront injectés dans ce programme. Certains vont se demander si cela n’est pas élevé, mais je dirais que la Côte d’Ivoire met 406 milliards de FCfa. C’est un peu la moyenne, rien n’est exagéré.

Quel est le bilan de la production nationale rizicole ?

En parlant de la vallée, la dernière référence que l’on peut avoir, c’est la contre-saison passée où nous avons eu des résultats importants. Nous avons obtenu des rendements de 7,5 tonnes avec des pics de 10 voire 12 tonnes à l’hectare. Ce qui correspond aux rendements les plus élevés au monde. Le coefficient de transformation aussi a connu une hausse significative. Elle a évolué entre 55 et 67 % avec même des pics de 70 %. Troisième résultat important : en comparant les deux dernières contre-saisons, les rendements ont augmenté à peu près de 50 %. Il y a aussi que le Sénégal est autosuffisant en riz entier.

Parce que la consommation tourne autour de 30.000 tonnes alors que nous avons une production largement supérieure. Des analyses scientifiques montrent que le riz produit dans la vallée du fleuve Sénégal, particulièrement le Nerica, a une teneur en protéine supérieure de 25 % par rapport au riz importé. Cela est très important. Il faut aussi préciser la création et la diffusion de trois variétés de riz aromates : Sahel 77, Sahel 328, et Sahel 325.

Il y a également un relèvement du plateau technique des rizeries, un peu partout, dans la vallée. Il y a la création de la batteuse « Asi » permettant de traiter sept tonnes par jour avec des pertes de moins de 2 % contre 13 % pour le battage manuel. En maîtrise de l’eau, la vallée du fleuve Sénégal est en chantier. On peut citer l’inauguration de la cuvette du Ngalenka, la réhabilitation de Ngomène, de la rive droite de Lamsar, etc.

Il y a aujourd’hui 10.000 hectares qui sont en cours de réhabilitation dans la vallée. Avec le Pasael (Programme d’appui à la sécurité alimentaire et à l’élevage), nous avons 7400 hectares. Grâce à la coopération indienne, nous avons trouvé un financement pour 60.000 hectares supplémentaires complètement équipés. C’est juste une ébauche de quelques initiatives pour montrer que toute la vallée du fleuve Sénégal est en chantier. Il faut aussi signaler l’augmentation de la capacité d’étrillage. Nous étions à 4.000 tonnes en 2013, nous sommes aujourd’hui à 6.000 tonnes. L’Isra a produit 23 tonnes de semences de pré-base, ce qui est une première dans l’histoire de notre pays. Or la quantité de semences de pré-base qu’il faut multiplier pour avoir 1,6 million de tonnes est de 14 tonnes. Nous sommes donc au-delà de nos besoins. Dans ces conditions, devons-nous parler de progression ou de régression ? C’est bien un progrès réel. J’ai effectué des tournées dans les régions pluviales, notamment Fatick et Kaffrine où les Nerica sont cultivés et donnent d’excellents résultats, entre quatre et six tonnes à l’hectare. De plus en plus aussi, des producteurs assurent leur autosuffisance du ménage. Ce qui confirme la justesse de notre orientation quand nous disons que les zones au-dessus de 800 mm doivent assurer l’autosuffisance alimentaire. Nos voulons étayer tout ce que nous disons par des faits concrets. A Foundiougne, plus précisément à Keur Bakka, le cultivateur Moustapha Cissé nous a dit : «grâce à ma production de riz, j’ai fait vivre ma famille toute l’année ».

Maintenant, au sud et au sud-est, il y a aussi appropriation et incorporation des innovations technologiques notamment avec le riz Nerica. Je compte d’ailleurs proposer au président de la République une tournée dans ces zones pour que, à l’instar de la vallée, on puisse lui montrer les progrès réalisés. Au vu de tout cela, aussi bien en zone pluviale qu’en zone irriguée, les ruptures que nous préconisons sont des réalités concrètes sur le terrain. Cela a été constaté par le président de la République. En réalité, nous avons une riziculture qui est en train de subir une véritable métamorphose. Ce qui m’amène à dire que la plupart de ceux qui avancent un contre-argument parlent d’une politique rizicole qui n’existe plus. La politique rizicole a changé, donc l’analyse doit changer pour qu’il y ait une bonne corrélation entre les politiques rizicoles qui sont menées et les analyses qui sont faites. Les choses bougent et si nous ne bougeons pas, nous risquons de rater l’heure du train. Pour le gouvernement du Sénégal, il n’y a pas d’ambition exagérée compte tenu de l’urgence de traitement des problèmes et aussi du temps perdu. Quelque soit ce que nous pensons, nous pouvons, au moins, retenir une chose : nous ne pouvons pas avoir une dignité continue face à une faim, une disette, ou une famine continue. Quand nous parlons d’agriculture, en dernière analyse, nous sommes au cœur de la dignité humaine. Chaque pays a le droit et le devoir de construire une agriculture forte et d’avoir l’ambition qu’il faut. Comme le disait De Gaulle: « la politique la plus coûteuse, la plus ruineuse, c’est d’être petit ». Nous nous voyons grand parce que le Sénégal est un grand pays et nous parlons de choses sérieuses : le Sénégal nourrit le Sénégal. Le département est tout à fait ouvert pour des échanges qui ne doivent pas être basés sur des certitudes incertaines, mais sur des réalités de terrain. C’est le terrain qui doit commander le débat.

Quelle est la place des organisations de producteurs dans la réalisation de ces ambitions ?

Les organisations de producteurs sont parties prenantes du dispositif, nous sommes en cogestion. Nous avons bâti ensemble, à partir du chemin tracé par le président de la République. Tout ceci prouve que les choses sont en train de changer. Voila pourquoi, un seul producteur ou une seule organisation de producteurs, encore moins un seul rizier n’a dit que ce que l’Etat est en train de dire est utopique. Nous ne sommes pas à l’heure des polémiques, nous sommes à l’ère de l’action. Comme l’a si bien dit le Premier ministre : au travail, au travail. C’est aussi ce que nous disons ici.

Source
le soleil

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