jeudi 1 août 2013

Laboratoires ISRA de HANN, CNRA de BAMBEY, ENSA de THIES… : La vétusté des équipements, le ventre mou de la recherche agricole au Sénégal

Un des piliers fondamentaux du développement de l’agriculture au Sénégal, la recherche agricole souffre énormément de manque de moyens et de matériels. Dans les différents laboratoires des instituts supérieurs de recherche agricole, la vétusté des équipements n’est plus un secret de polichinelle. De l’Isra au Cnra de Bambey, en passant par l’Isfar et l’Ensa de Thiès, le constat est le même. La plupart des équipements de recherche sont devenus obsolètes.
En dépit des moyens mis en œuvre dans le cadre d’un monopole de fait, les principales structures nationales de recherches agricoles et agroalimentaires n’ont pas les ressources financières et matérielles suffisantes pour relever les multiples défis de l’agriculture au Sénégal. Elles sont toutes plombées par la vétusté des infrastructures et des équipements de laboratoire. Ce phénomène ressassé aujourd’hui à tout bout de champ par les chercheurs est devenu une hantise pour l’ensemble des acteurs du monde rural et de l’agriculture dans toute sa dimension. Toutes les occasions sont saisies pour tirer la sonnette d’alarme.
C’était le cas à l’occasion de la visite guidée qu’une équipe de reporters membres du réseau des journalistes scientifiques et techniques du Sénégal (Rejost) a effectuée sur le terrain, en collaboration avec le Cadre de concertation des institutions de recherches et d’enseignement supérieur du Système national de recherches agro-sylvo-pastorales (Snrasp) grâce à l’appui du Fonds national de recherches agricoles et agro-alimentaires (Fnraa). Sur place, on a pu constater l’ampleur du travail qu’abattent les chercheurs dans leurs tours d’ivoire pour accompagner le développement de l’agriculture au Sénégal. La tournée a également permis de poser un nouveau jalon dans le processus de décloisonnement des résultats de la recherche agricole. Car, comme l’a si bien dit le directeur du Fnraa, le Dr Pape Sall, il s’agit de révolutionner la communication scientifique dans le domaine de l’agriculture mais aussi d’assurer, à travers de pareilles initiatives, une diffusion à grande échelle des résultats obtenus par les chercheurs.
 Un système plombé par la vétusté des équipements
 Les bons résultats de ces dernières années en matière de recherche agricole marqués notamment par la découverte du vaccin thermostable (l2) contre la maladie de Newcastle à l’Isra, ainsi que l’amélioration de la productivité notée durant la campagne agricole (2012-2013), avec notamment les nouvelles variétés de graine d’arachide, ne doivent en rien occulter les nombreuses difficultés qui assaillent le secteur de la recherche agricole au Sénégal.
La triste réalité est qu’aujourd’hui, nos chercheurs continuent de se battre dans des conditions de travail peu propices à l’éclosion de la science. Leur vécu quotidien reste marqué par la vétusté du matériel de travail dans les laboratoires. La plupart des infrastructures datent de l’ère coloniale. Cette situation, qui a fini de hanter le sommeil des vaillants chercheurs, doit faire l’objet d’une attention particulière. A l’Institut sénégalais de recherches agricoles (Isra, la situation est devenue préoccupante, selon le docteur Macoumba Diouf, directeur général de l’Institut. Si récemment le laboratoire de vaccins de l’établissement a pu être rééquipé et réhabilité grâce à l’appui de l’Union européenne, une bonne partie des installations ne répond plus aux exigences de la recherche appliquée. C’est le cas du laboratoire d’élevage et de recherche vétérinaire. La plupart du matériel, nous renseigne Macoumba Diouf, date d’une vingtaine d’années. Une situation qui, selon lui, risque de porter un coup dur à l’atteinte des objectifs que s’est fixé le Sénégal dans l’amélioration des facteurs de production en élevage.
 Manque de moyens
 Le Dr Macoumba Diouf estime les besoins de réhabilitation des équipements de l’Isra à environ 1,5 milliard de FCfa. Il est convaincu que le développement et la croissance doivent être portés par la recherche agricole. L’Isra aujourd’hui produit 90 % des besoins en vaccin du Sénégal. Il ravitaille également la sous-région dans tous les sous-secteurs de l’agriculture.
Au pôle agronomique de l’Université de Thiès, composé de l’Ecole nationale supérieure d’agriculture (Ensa) et de l’Institut supérieur de formation agricole (Isfar) de Bambey, le constat est le même. Les laboratoires sont presque vides. L’état de vétusté du matériel a atteint le seuil du tolérable. Le Dr Abdoulaye Dieng évoque, dans la foulée, le manque de certains appareils de recherche sur la qualité des sols afin de prendre en charge la lancinante question de l’infertilité des sols dans le bassin arachidier. « L’agriculture est une science qui évolue, d’où la nécessité de mettre à la disposition des chercheurs des outils adaptés aux exigences du temps », a fait remarquer le directeur de l’Ensa.
La réhabilitation des équipements et des infrastructures demeure également une préoccupation à l’Isfar de Bambey, ex-Ecole nationale des cadres ruraux (Encr). Dans cet établissement, qui dépend du pôle agronomique de l’université de Thiès, plusieurs expérimentations sont en cours. Etudiants et chercheurs s’activent sur certains sujets comme l’adaptation du coton en zone salée notamment sur les « tann » et la valorisation de l’arboriculture avec des tests sur le « jatropha ». Cependant, l’état actuel du matériel ne permet pas aux étudiants et chercheurs de mettre en exergue toutes les connaissances acquises. « L’absence de laboratoire moderne est un handicap de taille et plombe l’engouement qui doit soutenir la recherche », a déploré le directeur de l’Isfar, le Dr Mouhamed Camara.
En dépit de ces difficultés, les chercheurs n’ont pas baissé les bras. Au Cnra de Bambey, par exemple, ils sont en train de jouer leur partition dans la reconstitution du capital semencier en ce qui concerne l’arachide, le mil et le riz. Fort de ce constat, on peut, sans se tromper, soutenir que des efforts substantiels doivent être soutenus pour permettre à la recherche agricole et agroalimentaire de jouer pleinement son rôle. Le président de la République, Macky Sall, ne disait-il pas que le gouvernement est convaincu que grâce à la science et la technique, les performances du secteur agricole et agroalimentaire peuvent être significativement améliorées et permettre d’atteindre les objectifs de croissance accélérée au profit de la nation et des producteurs en particulier.
Une aventure qui remonte au XIX siècle
 Une lecture rapide de l’histoire de l’humanité nous enseigne qu’aucun pays au monde ne s’est développé durablement sans se préoccuper de son agriculture. Ceci est d’autant plus vrai aujourd’hui que les pays industrialisés persistent à soutenir leurs agricultures par le biais de subventions diverses pour les rendre plus compétitives sur le marché international. Tel n’est pas encore le cas dans des pays comme le Sénégal. En effet, depuis des décennies, l’agriculture sénégalaise est confrontée à des difficultés persistantes qui ont pour noms : déficit pluviométrique, baisse de la fertilité des sols, dégradation des ressources naturelles, malgré les efforts financiers et matériels consentis par l’Etat et les partenaires au développement.
De sa vocation, la recherche agricole et agroalimentaire est à même de contribuer efficacement à la réalisation des objectifs de croissance économique et de développement humain durable fixés par le gouvernement du Sénégal, nous renseigne le Dr Moussa Fall, secrétaire permanent du Cadre de concertation des institutions de recherches agricoles.
Pendant de nombreuses décennies, la communauté de chercheurs du système national de recherches agricoles et agroalimentaires de notre pays s’est beaucoup investie par des travaux de qualité dont les résultats ont d’ailleurs largement contribué à la relance du secteur agricole national et régional.
La recherche agricole au Sénégal a débuté au XIXème siècle avec la création du jardin botanique de Saint-Louis en 1850 et la réalisation de quelques expérimentations à Richard-Toll. Elle s’est développée sous l’impulsion du service fédéral de l’agriculture et sur la zootechnique basée à Dakar et appuyée par le laboratoire vétérinaire de Hann pour la protection sanitaire des animaux. La recherche agricole connaitra un tournant décisif avec la création à Bambey, en 1921, dans la zone de production arachidière, d’une station expérimentale de l’arachide, en remplacement de la ferme-école créée huit ans plus tôt. Après l’indépendance, le Sénégal hérite de ces structures de recherche mises en place par le colon.
Mais, en raison de la quasi inexistence d’un potentiel scientifique national, la France continue d’en assurer la gestion, conformément aux accords de coopération scientifique et technique établis avec le Sénégal indépendant. C’est ainsi que sont créés, en 1960, l’Institut de recherches agronomiques tropicales et des cultures vivrières (Irat) et le Centre d’études et d’expérimentation du machinisme agricole tropical (Ceemat). Cette période, selon les explications du Dr Fall, est marquée par l’augmentation du nombre de chercheurs et par la décentralisation et la délocalisation de la recherche auprès du monde paysan. L’ancien Centre fédéral de recherches agronomiques de Bambey est transformé en Centre national puis confié à l’Irat, se souvient-il.
Le laboratoire national de recherches vétérinaires et le centre de recherches zootechniques de Dahra sont regroupés et leur gestion confiée à l’Institut d’élevage et de médecine vétérinaire des pays tropicaux (Iemvt). C’est seulement en novembre 1974 que l’Institut sénégalais de recherches agricoles (Isra) a été créé pour prendre en charge l’exécution des programmes de recherche et la promotion des chercheurs nationaux qui doivent assurer la relève des expatriés. L’Isra dispose d’une importante infrastructure composée de cinq centres et laboratoires nationaux, de six centres régionaux, de deux unités d’analyse macroéconomique et d’information et de valorisation (Unival).
Au niveau régional, l’Isra polarise une trentaine de stations et de points d’expérimentation auxquels vient s’ajouter le Centre d’étude régional pour l’amélioration de l’adaptation à la sécheresse (Ceraas). Ces organismes travaillent aujourd’hui en étroite collaboration avec les instituts de recherches des universités de Dakar, de Saint-Louis, de Thiès et de Bambey.

Dr Macoumba DIOUF, directeur général de l’ISRA : « Il y a à peine une dizaine de centres qui fonctionnent à travers le pays »
La situation des équipements et infrastructures de recherche agricole est devenue un véritable casse-tête pour les chercheurs des instituts de recherche agronomiques au Sénégal. Dans cet entretien, le directeur général de l’Institut sénégalais de recherches agricoles (Isra), Macoumba Diouf, tire la sonnette d’alarme et se félicite également de l’attention que les nouvelles autorités accordent à la question.
La situation des infrastructures de recherches devient de plus en plus préoccupante. Dans quel état se trouvent, aujourd’hui, les équipements de recherches agricoles du pôle de l’Institut sénégalais de recherches agricoles (Isra)?
« Il faut d’abord préciser que les installations et les équipements occupent une place de choix dans le dispositif de l’Isra.
C’est un dispositif éclaté avec une représentation nationale dans toutes les zones agro-écologiques du pays. Nous avons soit des centres nationaux, c’est le cas du laboratoire national d’élevage et de recherche vétérinaires de Hann, ou encore du laboratoire national de recherches et de production végétales, du centre national de recherche forestière, du centre de recherche pour le développement de l’horticulture, du centre de recherche océanographique Dakar-Thiaroye, et le pôle de recherche de Hann. Nous avons également des centres et laboratoires de recherche régionaux comme le Cnra de Bambey mais aussi à Saint-Louis, Kolda, Djibélor… Il existe aussi des stations locales pour répondre aux besoins des producteurs sur place mais également les Points d’appui pour la pré-vulgarisation et l’expérimentation multi locale (Papem) qui sont des champs de recherche en milieu paysan où l’on fait la différence entre les recommandations et les pratiques de tous les jours. Au total, cela nous fait 33 sites de recherches et d’expérimentation à travers le pays. Mais nous avons constaté qu’aujourd’hui, il y a à peine une dizaine de centres qui fonctionne. Cela pose problème car cette situation nous empêche de mener cette recherche de proximité. La fonctionnalité de ces centres reste un casse-tête. La plupart d’entre eux sont fermés à cause du manque de moyens. Ce sont des laboratoires à équiper pour retrouver le dispositif d’antan en matière de recherche agricole. Je profite de cette occasion pour signaler que les résultats que l’Isra a eus et qui lui ont valu le prix de la Banque islamique de développement en 2012, sont obtenus aux cours des vingt dernières années, au moment où l’environnement agraire était plus favorable. Donc, retrouver le dispositif de recherche est une question prioritaire, c’est même une question de survie. Les changements climatiques, la pauvreté des sols et la salinisation des terres constituent des défis qui ne peuvent être relevés que si le dispositif de l’Isra est réhabilité.
Qu’avez-vous entrepris dans ce sens pour apporter un début de solution à ce problème ?
« L’Isra a justement mis en place un programme pour anticiper et sensibiliser les autorités. Je dois m’en féliciter car les autorités de la nouvelle Alternance ont exprimé l’intérêt que la recherche agricole revêtait pour elles. En 2008 déjà, le projet de réhabilitation que nous avons élaboré, était estimé à huit milliards de FCfa. C’est le Projet de réhabilitation et de réouverture des centres, stations et Papem de l’Isra. Il portait essentiellement sur l’aspect infrastructures. Avec les projets d’ouverture de centres à Matam et Kédougou, il a été réévalué à 10 milliards de FCfa. Mais je me félicite de l’attention particulière que les nouvelles autorités accordent à la situation des infrastructures de recherche agricole. Nous avons prévu de soumettre le projet à l’Etat pour qu’il puisse être pris en compte dans le budget 2014, même si techniquement les travaux ne peuvent pas être tenus en un an. C’est dans ce cadre que je veux citer le cas spécifique de deux centres : le centre de Dakar, particulièrement le laboratoire national d’élevage notamment les unités de production de vaccins de Dakar et de Dahra Djolof. En plus de ces aspects équipements de laboratoire, il y aussi la question de la logistique et du parc automobile car nous sommes des agents de terrain. Nous souhaiterions que les prochaines dotations permettent de mettre à jour le parc de véhicules.
 Les pouvoirs publics ont-ils pris la pleine mesure de cette situation ?
Je tiens à saluer l’attention et l’engagement des nouvelles autorités de l’Etat à trouver des solutions au problème de la vétusté des équipements de laboratoires de recherche agricole. Le président de la République nous a reçu sur la même question et à réitéré l’intérêt qu’il porte à la recherche agricole comme locomotive de l’agriculture au Sénégal. Le ministre de l’Agriculture également. Nous souhaitons que l’Etat fasse comme il l’a fait avec les semences en dotant l’Isra d’une enveloppe de 3,5 milliards de FCfa pour attaquer la question de la reconstitution du capital de semences. On doit également faire les mêmes efforts pour la promotion de la culture du blé. Je tiens à encourager l’Etat à poursuivre les efforts consentis pour la reconstitution du capital semencier. Le problème de l’agriculture au Sénégal, c’est une question d’investissement. Il faut également renforcer la concertation et discuter de l’ensemble des questions pour définir ensemble les objectifs et évaluer le moment venu. A ce sujet, nous nous félicitons de l’acte posé par le ministre de l’Agriculture et de l’Equipement rural, Abdoulaye Baldé, qui, dès son avènement à la tête de ce département, a tenu à reconstituer le Cadre de concertation. La structure se réunit régulièrement toutes les semaines pour évoquer des questions liées à la relance de l’agriculture au Sénégal. La ministre de l’Elevage, Aminata Mbengue Ndiaye, a également manifesté un intérêt particulier pour le cas de la réhabilitation du laboratoire de production de vaccins du pôle de Hann. Elle est convaincue que la production de l’élevage passe par une bonne couverture sanitaire du cheptel.
Dossier réalisé par Seydou Prosper SADIO

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